LE MUR DE LA HONTE (site www.oulala.net)
dimanche 18 janvier 2004, par Announ
La construction du soi-disant « mur de sécurité » en Cisjordanie a des conséquences catastrophiques pour la population palestinienne
Azmi Al-Aqra a quitté sa Qalqilya natale il y a déjà deux
semaines pour chercher du travail à Ramallah. Il sait que se ne sera
pas facile : sans expérience ni d'autres études que le tawjihi
(l'équivalent du baccalauréat) ce sera difficile de concourir
avec les habitants de la ville, qui peuvent avoir recours à des familiers
ou à des amis. Mais il n'a pas d'autre choix : « Il y a déjà
plusieurs mois que nous ne pouvons pas accéder à nos terres ;
ma famille survit grâce aux coupons de la Croix Rouge, mais mes surs
ont besoin de chaussures pour la rentrée et mon frère avait projeté
de se marier cet automne. » Azmi n'est qu'un parmi les centaines de jeunes
du nord de la Cisjordanie qui ont été forcés d'émigrer
récemment dans la capitale administrative de la Palestine essayant de
trouver une source de revenus pour aider leurs familles, encerclées par
le mur.
L'objectif supposé du « mur de sécurité » est de séparer la Cisjordanie d'Israël afin d'éviter l'infiltration de terroristes suicides. Néanmoins il ne suit pas la Ligne verte, la frontière de 1967, mais s'enfonce dans le territoire palestinien, dans certaines zones jusqu'à six kilomètres, annexant dans le processus des colonies juives, des terres agricoles et des puits d'eau. Dans sa première phase, qui traverse les districts de Jénine, de Toulkarem et de Qalqilya, il est bâti sur 14 680 dunums (un dunum est ¼ d'acre, ou 1 000 m2) de terres confisquées, y compris 510 dunums de terres agricoles et 300 dunums de serres. Il a aussi isolé presque 122 000 dunums, touchant 200 000 personnes encerclées par le mur et la Ligne Verte ou dont les terres ou les puits sont de l'autre côté du mur.
Les conséquences économiques du mur sont catastrophiques. D'après la municipalité de Qalqilya (capitale du district qui porte ce nom, connu comme « le grenier de la Cisjordanie »), sa construction a signifié la confiscation d'un tiers des terres cultivables de la ville et de ses réserves d'eau. Le taux de chômage atteint 65%. Beaucoup de ces habitants sont incapables de payer leurs impôts, et les dettes de la municipalité avec la compagnie (israélienne) de distribution d'électricité ont suscité des menaces de coupure de ce service. On calcule que 6 000 résidents ont abandonné la ville pendant les derniers mois pour chercher du travail ailleurs. Malheureusement, Azmi n'est pas un cas isolé.
Détruisant le présent
et le futur
Ceci n'est que la première phase du mur. Le tronçon suivant, dont
la construction a déjà commencé, s'étendra du sud
de Qalqilya jusqu'au nord de Jérusalem, s'enfonçant seize kilomètres
dans le territoire palestinien, absorbant de ce fait les méga-colonies
d'Ariel et d'Immanuel. En plus, en mars de cette année Israël a
annoncé l'érection d'un deuxième mur le long de la vallée
du Jourdain, très a l'est de la frontière avec la Jordanie. Si
ce plan est mis en pratique, le territoire de la Cisjordanie se verra réduit
de moitié et divisé en trois cantons décousus - situation
similaire à celle existante déjà entre la Cisjordanie et
Gaza, où le système de permis israélien rend presque impossible
toute circulation de la population palestinienne entre les deux enclaves -.
En fait, il empêchera la viabilité d'un futur état palestinien.
C'est difficile d'estimer les conséquences du mur, puisque son tracé final est un secret bien gardé par le gouvernement et l'armée israéliens. Mais on peut déjà évaluer la situation dans les districts traversés par son premier tronçon. Premièrement, la dévastation à grande échelle : la destruction de terres agricoles (y compris le déracinement de plus de 100 000 arbres), d'infrastructures (12 kilomètres de systèmes d'irrigation, 14 kilomètres de routes), de commerces (85), de logements (7), même d'un parc pour les enfants. Deuxièmement, l'impossibilité d'accéder aux terres et aux sources d'eau, aux marchés, aux lieux de travail et aux services de santé et d'éducation, ou de visiter les familles et les amis.
Le gouvernement israélien assure qu'il permet l'accès aux terres (sous quelques restrictions) à travers de portails, mais la situation sur le terrain semble démentir ces affirmations. L'organisation de droits humains israélienne B'Tselem a dénoncé qu'on n'a pas destiné assez de fonds pour la construction de ces portails, qui n'existent pas dans beaucoup de lieux. Là où il y en a, les horaires d'ouverture sont tout à fait arbitraires - parfois seulement deux heures l'après midi, quand le travail dans les champs et les serres devient impossible à cause de la chaleur. Bassem Thabet, de l'ONG canadienne Comité central mennonite, explique : « La situation est terrible. Les paysans marchent plusieurs kilomètres pour arriver au portail et attendent pendant des heures jusqu'à ce que les soldats l'ouvrent à condition qu'ils aient décidé de l'ouvrir ce jour-là. Quand ils apportent de plants pour les serres, ils doivent les regarder se sécher sous le soleil. D'autres parcourent de grandes distances à travers champs autour du mur là où il n'est pas encore tout à fait fermé, mettant leurs vies en danger. Combien de temps pourront-ils supporter cela ? Il n'y a pas de doute, l'intention est d'expulser les paysans. »
Les Israéliens indiquent aussi qu'ils ont offert des compensations pour les terres confisquées (mais pas pour les infrastructures détruites ou pour la perte de services et de moyens de soutien.) Azmi sourit amèrement quand on mentionne la question : « Ils offrent des quantités ridicules, mais ça, ce n'est pas le problème. Si on accepte leur argent, on légitime l'expropriation. On ne peut pas le faire. » Il reconnaît que sa famille a eu de la chance cette fois-ci : « Ils n'ont volé que 2 dunums. Mais cela ne veut rien dire : il y a quelques années ils ont confisqué 10 dunums pour l'expansion d'une colonie voisine. Ils peuvent le faire à nouveau n'importe quand surtout maintenant que nous ne pouvons pas arriver à nos terres, et ils auront un autre prétexte. » En effet, l'armée israélienne est légalement autorisée à confisquer les terres qui n'ont pas été cultivées pendant trois ans.
Le « jardin » de la Palestine
Les districts de Jénine, Toulkarem et Qalqilya, situés au nord
de la Palestine, sont très fertiles ; le terme « Jénine
» signifie « jardin » et a la même racine que le mot
« jenna », qui veux dire « paradis ». Ils se trouvent
sur l'Aquifère occidental, le deuxième dépôt d'eau
le plus important dans la région et qui fournit la moitié de l'eau
consommée en Cisjordanie. D'après la Banque mondiale, dans l'année
2002 45% de la production agricole cisjordanienne a été récolté
dans cette zone. Et cela, malgré les limitations imposées par
Israël : après l'occupation en 1967, l'armée israélienne
a émis l'ordre militaire numéro 92, qui interdit la construction
et même l'expansion des infrastructures hydrauliques sans un permis de
l' « officiel de l'eau » ; à ce jour, pas un seul permis
n'a été émis dans cette zone, et les Palestiniens sont
forcés de se soutenir avec la même quantité d'eau que celle
dont ils disposaient dans les années soixante, malgré la forte
croissance démographique.
Dans cette région d'un demi-million d'habitants, la terre est la principale source de revenus - parfois la seule, dû à la crise économique croissante -. Par conséquent, dépouiller la population de ses ressources agricoles est une menace à sa survie. Thabet explique la situation de nombreuses familles : « Chaque année elles empruntent les semences et elles les paient avec de l'argent obtenu après la vente de leurs produits. Mais cette année-ci, beaucoup de familles ont perdu leurs récoltes ou n'ont plus d'accès aux marchés où elles allaient les vendre. La plupart ont dû demander de l'argent à leurs parents pour payer leurs dettes. C'est une situation très embarrassante, parce que leurs familles ne peuvent non plus se permettre de se passer de cet argent-là. »
Attrapés
Le trajet de mur serpente le terrain suivant le principe de « plus de
terre, moins de gens. » Dans beaucoup de lieux, il s'enfonce pour absorber
une colonie (seulement dans le district de Qalqilya il y en a 19, dont la population
s'élève à plus de 50 000 colons israéliens) ou des
sources d'eau (les Israéliens utilisent en moyenne 270 litres d'eau par
personne chaque jour, alors que le chiffre pour les Palestiniens est de seulement
83 litres, moins de ce que l'Organisation mondiale de la santé considère
nécessaire pour couvrir les besoins essentiels.) Le résultat est
la création de dizaines d' « enclaves » pratiquement entourées
par le mur ou encerclées par celui-ci, les colonies et les barrages militaires
; c'est le cas de la ville de Qalqilya (qui a une population de 45 000 Palestiniens.)
Dans ces communautés, il n'existe qu'un seul point d'accès contrôlé
par un barrage militaire qui s'ouvre et se ferme d'une façon tout à
fait arbitraire, en fait piégeant des milliers de citoyens.
Les clôtures privent les Palestiniens de services aussi essentiels que l'éducation ou la santé. La plupart des maîtres du district de Qalqilya habitent cette ville, ainsi chaque jour ils doivent croiser au moins deux barrages pour arriver à leurs écoles dans les villages et les hameaux. Les retards sont fréquents, et parfois les barrages sont fermés sans cause apparente, laissant des centaines d'enfants sans enseignement. En plus, le principal hôpital de l'UNRWA (l'agence des Nations Unies qui s'occupe des réfugiés palestiniens) pour le nord de la Palestine se trouve à Qalqilya ; actuellement, des milliers de réfugiés qui résident dans d'autres villes n'y ont plus accès.
Les Palestiniens sont habitués aux difficultés. Il y des décennies qu'ils supportent une occupation oppressive qui les a privés de leurs droits humains les plus fondamentaux au milieu de la presque totale indifférence de la communauté internationale, mais ils ont su affronter touts les obstacles et s'entraider pour rester dans leur pays. Face à un ennemi très supérieur militairement, ils ont le sumud, un mélange d'obstination, de résignation et de patience qui, à la fin, leur donnera la victoire. Ils auront besoin de beaucoup de sumud pour faire face à ce nouvel assaut.
Ana Belén Soage
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