Violences
israéliennes au camp de Balata
Par Silvia
Cattori
Les soldats
israeliens sont entrés dans le petit camp de Balata avec des tanks, des
jeeps, le 16 décembre, à deux heures du matin pour n'en sortir que ce
matin.
Ils ont bouclé les familles - dont ils ont occupé les
maisons - dans une pièce, dévasté les lieux, détruit leurs biens. Ils ont
posté des tireurs dans les immeubles dit
"stratégiques".
Toute la nuit des groupes de soldats, parfois
accompagnés de chiens, ont investi le quartier où il y a les bureaux de
l'ISM. Prétexte : rechercher des hommes. Ne les trouvant pas ils ont
menacé des enfants, qui n'avaient parfois pas plus de cinq ans, pour
obtenir des renseignements sur leur père, leur frère, leurs voisins. Cassé
toute la vaisselle, démoli le mobilier, avant de
partir.
Depuis plusieurs jours les enfants ont été empêchés
d'aller à l'école par les va et vients des patrouilles militaires et le
couvre-feu. Les soldats lancent des grenades assourdissantes, des gaz,
pour attiser les enfants qui, las d'êtres enfermés, n'ont qu'une envie,
sortir pour voir, pour jouer, pour répondre à leurs provocations. La
présence de ces soldats qui les humilient sans cesse les excite
énormement. Les enfants finissent par lancer des pierres contre les
vehicules blindés.
En deux jours une vingtaine d'enfants ont
été blessés par les tirs de soldats et les gaz asphyxiants. (Un nouveau
genre de gaz capable de tuer. Des gaz qui vous donnent des convulsions et
nécéssitent l'hospitalisation).
J'ai profité d'une accalmie,
pour aller à l'hopital Rafidia, rendre visite aux enfants blessés. Nour
Emran, 15 ans, que les soldats ont délibérement touché en pleine tête, est
dans le coma, sans espoir d'en sortir. Deux autres enfants sont dans un
état désesperé. Les couloirs de l'hopital sont remplis de mères, de pères
qui pleurent en silence. Un hopital qui reçoit des blessés sans
discontinuer, et n'a que de pauvres moyens.
Le docteur
Ghassan de Naplouse, de l'UPMRC, a été présent à Balata aux heures les
plus effrayantes. Il appuyait le travail des innombrables secouristes
volontaires. Ces gens qui s'exposent pour porter secours aux blessés et
aux malades, aident concrètement les assiegés à traverser leur douleur de
vivre. Ils sont très précieux pour le moral de ces gens enfermés dans les
camps depuis 1948, se sentent abandonnés aussi bien par leurs dirigeants à
Ramallah que par le monde entier.
Il y avait sur les lieux,
également, les héroiques caméramens palestiniens, mais aussi quatre
caméramens étrangers, deux étudiantes japonaises et une dizaine de membres
de l'ISM. Admirables. Des êtres qui se dépassent, en générosité. Des
êtres, dont la conscience morale, l'amour des autres, la compassion envers
les victimes les fait s'oublier. Des êtres qui savent inconsciemment
qu'ils peuvent être tués, être blessés, être arrêtés, mais ils ne manquent
pas à leur devoir.
J'ai vu avec quelle bravoure les
photographes se sont mis en mouvement pour aller se poster à coté des
véhicules - effrayants avec leurs mitrailleuses dont les tirs peuvent
déverser 500 balles à la seconde - pour filmer la sauvagerie des soldats
israéliens contre des mômes.
A peine arrive à la porte du
camp de Balata le journaliste britannique a dit à son caméramen : "On y
va". Je les ai regardés avancer vers les machines de guerre sans trainer
les pieds, sans hésiter. Ils n'ont pas flanché ni reculé quand, plus tard,
les soldats les ont menacé de leur armes, s'ils ne décampaient pas. J'ai
vu Martin, le Polonais photographier de près les soldats qui riaient, qui
étaient fous de joie, pendant qu'ils tiraient contre les enfants qui
couraient à toutes jambes.
Ce sont des moments où tout
devient opaque, incertain. Des moments aussi où, la bonne conscience de
son côté, vous fait sentir plus fort que dans la vie
courante.
Qu'ils tirent ou qu'ils ne tirent pas, la peur est
la même. On se dit qu'on doit faire face. Que c'est un devoir humain que
d'être présent, pour rappeler aux soldats qu'il y a une justice, que dans
toute guerre il y a des règles qu'ils doivent respecter.
J'ai
rencontré un membre palestinien de l'ISM. Je lui ai dis que je cherchais
un internet shop ouvert. Il m'a dit de le suivre. Quelques pas plus loin,
nous avons vu un soldat en position de tir à cinquante mètres de nous.
(Chose rare, car les soldats israéliens, réputés ici pour être très
peureux, ne quittent jamais leur vehicule. Sauf quand ils font des grosses
opérations et qu'ils sont très nombreux). Nous sommes entrés dans une
ruelle étroite large d'un mètre. Chaque fois que nous cherchions une issue
entre les maisons, l'on voyait un soldat en position de tir. Je m'étonnais
à chaque fois que la pluie de feu ne tombe pas sur nous. Nous n'avions pas
le choix que de continuer tout droit, à decouvert.
Quand nous
avons débouchés sur la Market Street, nous avons vu un char et une jeep
qui bouclaient la sortie. Puis nous avons entendu le haut parleur dire en
arabe "Plus personne ne bouge ou on tire".
Je ne me sentais
pas la force de franchir encore les cent mètres qui nous séparaient des
bureaux de l'ISM. Je voyais des groupes de garcons qui se tenaient postés
contre les murs, dans une sorte d'inquiétante expectative, prêts à lancer
des cailloux contre les machines, si celle-ci devaient avancer en cette
direction. Je revenais de l'hopital, où j'avais vu les grands blessés de
la veille, et j'étais encore sous le coup. J'ai cherché une issue dans une
ruelle. Frappé à une porte. Une femme m'a ouvert. Et ce geste, cette
Palestinienne d'une quarantaine d'année qui m'offrait la sécurité, de ma
vie, je ne pourrai jamais l'oublier. Je lui ai dis que je préférais que
l'on atteigne notre destination en passant par des petites
ruelles.
J'ai passé toute la journée dans cet univers où le
temps s'écoule différemment que partout ailleurs. Un temps où vous êtes
contraint à vous terrer età vous estimer heureux les rares moments où les
"jais" s'en vont.
J'ai découvert qu'il n' y a plus beaucoup
d'hommes dans les familles palestiniennes. Ce qui veut dire que quantité
de femmes et d'enfants sont livrés à eux-mêmes, sans
protection.
Il y a des pères qui ont été assassinés, des fils
qui ont été tués, devant leur porte, parce qu'ils lancaient des pierres
contre des tanks ; d'autres qui se sont faits arrêtés dès leur plus jeune
âge, sans raison ; d'autres qui sont à l'hopital ou dans la rue en train
de défendre le peu qu'il leur reste.
Dans les trois familles
de la maison - où j'ai trouvé chaleur et protection - il n' y avait pas
d'hommes au delà de 12 ans.
A 21 heures, nous étions tous
couchés sur des matelas à même le sol d'où nous pouvions voir les toits
des jeeps et des ambulances passer. Une vingtaine de personnes serrées les
unes contres les autres dans la même piece. Mères, grand-mères, entourées
par les plus petits.
Les nuits sont effrayantes. A cause des
soldats qui s'activent à aller d'une maison à l'autre. Chacun demeure
suspendu aux bruits, cherche à les interpréter : quand les coups de feu
vous font sursauter, les enfants sont capables de vous dire quelle arme a
tiré. Chacun se demande quand les "jais" vont arriver. Pas une plainte.
Les Palestiniens ne se montreront jamais vaincus. Seuls les animaux
domestiques, qui ne comprennent pas ce qui leur arrive, pleurent. J'ai
entendu les coqs chanter à minuit. Je ne sais pas pourquoi à ce moment-ci,
où la souffrance s'est transformé en chant, mes nerfs ont craqué, et j'ai
pleuré avec eux.
Ils étaient venus hier, je n'ai donc pas
connu ce genre de frayeur de voir des soldats grimés, venir tirer ce petit
monde splendide, hors du lit.
A six heures, nous avons appris
que les soldats avaient quitté le camp. Mais qu'ils avaient occupé
Naplouse la nuit, tué quatre hommes. Et la tristesse a suivi de peu le
soulagement.
Les gens souffrent plus qu'on ne le pense
dehors, chaque fois qu'un des leurs est blessé, tué, arrêté, par les jais"
.
Sources : ISM
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