Les enfants de Market Street

mercredi 31 mars 2004, par Sylvia


 

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Les enfants de Market Street Silvia Cattori

www.ism-suisse.org

En ce petit matin frisquet de mi décembre 2003 où je m'aventurais pour la première fois dans Market Street, j'étais loin de me douter, que dans les minutes qui suivraient, j'allais connaître les évènements les plus épouvantables de ma vie. Des évènements si traumatisants qu'il m'a fallu des mois avant de pouvoir les écrire.

Market Street est une petite rue, bordée d'échoppes toutes délabrées, toutes grêlées, qui coupe le camp de réfugiés de Balata en son milieu. Une rue bourdonnante d'enfants vifs, curieux, qui assaillent l'étranger, s'amusent à égrener les quelques mots d'anglais qu'ils possèdent : « What's your name ? Where you from ? ».

Les femmes faisaient leur marché, me souhaitaient gentiment « Salamalekum » (Que la paix soit avec vous), quand tout à coup, j'ai entendu des balles siffler au dessus des têtes, j'ai vu des grenades assourdissantes exploser tout autour et tous ces pauvres gens jetés brutalement dans l'horreur. Un renversement terrifiant.

Market Street si paisible et accueillante une seconde plus tôt, avait basculé dans l'horreur. Les petites filles s'enfuyaient à toutes jambes. Les petits garçons se précipitaient vers ces monstres d'acier qui crachaient des nuages de fumée noirâtre, criaient des « jais, jais ». Les mères couraient pour tenter d'attraper l'un ou l'autre d'entre eux par le collet, hurlaient : « Omar. Ahmed, Raed… ». Ces derniers, lancés comme des boules en feu, restaient sourds à leurs supplications. Auraient-ils voulu obéir, qu'ils ne le pouvaient pas. Défendre leur camp, défendre la dignité de leurs pères, frères, oncles, grands-pères, assassinés ou emprisonnés, était pour eux, comme un devoir, une absolue nécessité. La douleur des opprimés qui les rongeait se ravivait. Il fallait qu'ils y aillent. C'était plus fort qu'eux. C'était comme si un volcan intérieur avait été brusquement réveillé par l'irruption brutale des tanks.

Ces soldats étaient-ils fous ? Ils faisaient la guerre aux enfants, ils tiraient sur eux comme sur des pigeons, ils jetaient des bombes asphyxiantes par-dessous les maisons. Sans raison ! En face, il n'y avait pas l'ombre d'un combattant. Il n'y avait aucune justification à cette démonstration de force contre de pauvres gens déjà chassés de chez eux en 1948.

Ce que ces barbares enfermés dans leurs mastodontes venaient chercher dans une rue pleine d'enfants comme celle-ci, était aussi clair qu'invraisemblable. Le colonel de l'armée de l'air israélienne, Yiftah Sepctor, n'avait-il pas avoué un jour que les soldats envoyés dans les territoires palestiniens avaient la liberté de « tuer des enfants » ? Aller à la chasse d'enfants avec des armes de guerre, tirer des rafales de mitrailleuses contre des lances pierres, était-elle devenue une activité normale pour l'armée occupante ? Apparemment oui.

Foncer sur eux, reculer, ralentir, s'immobiliser… leurs manœuvres visaient clairement à attirer ces enfants innocents dans un piège mortel… Les harceler, les provoquer, jusqu'à les jeter dans cet état paroxystique où, hors d'eux-mêmes, ils ne comprenaient plus rien et se jetaient alors à l'assaut des blindés. Un jeu pervers et criminel entre une armée et des enfants. Si les plus âgés - entre douze et quatorze ans - étaient les premières cibles, les petits mômes de quatre ou cinq ans n'étaient pas épargnés. En ajustant leur arme, les soldats criaient par hauts parleurs : « Come on…come on… son of a bitch… » (Viens, viens, fils de pute).

Ces enfants ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Les soldats, eux, savaient ce qu'ils devaient faire. Les allumer méthodiquement, les esquinter.

Ils fusillaient les enfants, ils humiliaient les parents ! Il y avait là un photographe palestinien qui, dans son obsession d'immortaliser cette violence du fort sur le faible, s'oubliait, allait se poster là où le danger était patent. Il y avait là aussi, à portée de tank, un vieillard prostré, assis à sa porte, comme devant le néant, comme fermé à ce qui se déroulait sous ses yeux. Plus en arrière, j'ai aperçu un marchand de légumes qui regardait ses tas d'oignons et d'oranges partir à vau l'eau, avec cet air d'hébétude des vaincus. Ces hommes n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes. Des fantômes impuissants à défendre leur dignité bafouée. Une jeune femme, en robe traditionnelle bleu marine, les cheveux recouverts d'un foulard blanc, balayait le trottoir sans jamais regarder les « jais », comme s'ils n'existaient pas. Comme si, face à cette guerre abominable qui faisait violemment irruption dans son quotidien, elle résistait en restant là tout simplement pour leur signifier qu'elle était dans son droit, que quoi qu'ils fassent, elle ne partirait pas.

J'ai compté une vingtaine d'enfants blessés. A cet instant j'ai vu un garçon, la tête en sang, vriller, tomber inanimé au milieu d'une grande flaque d'eau sale. J'ai immédiatement reconnu en celui qui se penchait sur lui avec effroi, un frère jumeau. Les cris de douleur déchiraient les airs. Sous le choc, je suis tombée à genoux et j'ai pleuré d'impuissance. Il s'appelait Nour Emran. Il était à peine âgé de 12 ans. Il mourra quelques jours après, à l'hôpital Rafidia, sans être sorti du coma. Quant à son frère, après qu'il ait lancé un cailloux de rage contre la ferraille du tank, il a été blessé d'une balle dans le dos, alors qu'il était sur le point de s'enfuir.

Sous le feu des soldats qui tiraient sur les ambulances, les jeunes secouristes avaient la tache dure. L'un d'eux m'a lancé d'un air résigné : « C'est notre vie. » Devant mon incrédulité il a ajouté : « Vous n'avez encore rien vu… ils vont revenir. »

Quand les tirs se sont tus, Market Street ne se ressemblait plus. Les enfants étaient hagards, en état de choc. Ils regardaient autour d'eux, sans comprendre.

Tirer sur des enfants ce sont des crimes odieux, ce sont des meurtres. Il faut que cela soit dit en toute clarté. Balata Camp est une grande prison - qui enferme 35 000 âmes, dont plus de la moitié sont des enfants - entourée de collines que les colonies juives et les casernes militaires israéliennes qui y ont été installées par l'Etat d'Israël, ont complètement défiguré. Depuis les hauteurs, ces occupants illégaux exercent leur domination sur les Palestiniens. A toute heure du jour et de la nuit ils peuvent activer leurs canons, tuer des civils, détruire des maisons. Tout cela est inacceptable.

Ce peuple qu'Israël diabolise et terrorise nous nous devons de le protéger. Il faut le crier sans fin, en espérant que cela finira par attirer l'attention du monde.

Ces Palestiniens écrasés qui nous accueillent en nous souhaitant « Salamalekum » ont droit eux aussi à la sécurité, à la paix et à la justice.

22 mars
silviacattori@yahoo.it


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Sylvia
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